Problématique :« La technique, libération ou aliénation de l’homme ? Quelle est l’utilité de la technique ? »

« Mais là où est le péril, croît aussi ce qui sauve. « Patmos, en Question IV, Hölderlin, poète allemand du 19ème siècle.

Les discussions furtives mais intenses m’inspirent de nombreuses réflexions philosophiques : un marin philippin me dit, admiratif, en voyant s’ouvrir électroniquement le portail automatisé du port : » j’aimerais construire ceci ».

La Technique se comprend traditionnellement comme une combinaison de plusieurs outils de production de prévision et de distribution correspondant à tout un ensemble d’outils matériels ou non (machines mais aussi procédés), « qui sont rassemblés, organisés et animés de manière à remplacer l’homme dans l’exécution d’un certain nombre de tâches ». Dans l’antiquité et jusqu’ à l’époque moderne, le travail était essentiellement artisanal avec ses savoir-faire, ses procèdes, ses tours de main. L’apparition des manufactures textiles et du charbon a modifié le rapport de l’homme à la matière en le mécanisant. Les taches laborieuses et éreintantes des anciens dockers n’ont plus cour aujourd’hui, et l’on peut peut-être que sans réjouir même si la mécanisation des travaux de force a rendu la main-d’œuvre moins utile. La démultiplication de la force humaine par les machines a augmenté notre puissance, notre rapidité dans l’exécution des taches, et peut-être notre efficacité mais les philosophes tels que Hans JONAS dans le principe responsabilité (1971)pour qui la technique « n’est pas neutre, elle en appelle à une éthique « , Martin HEIDEGGER dans l’essence de la technique (1953), pour qui il faut « arraisonner la technique , à cause de ses effets pervers » (domination et exploitation de la nature et de ses réserves, remplacement de l’homme par les machines).Plus l’homme se prend pour le « seigneur de la terre », plus il devient une simple pièce du « dispositif technique », instrumentalisé à son tour par ses propres outils, ses propres instruments (Hegel dans sa fameuse dialectique du maitre et de l’esclave montre qu’en réalité que le maitre devient de plus en plus dépendant du travail de l’esclave, ce qui à terme renverse les rapports de force). Ainsi peut-on s’interroger sur la place que la technique occupe dans nos vies quand on pense au nombre d’outils et d’appareils que nous utilisons au quotidien sans savoir pour autant les réparer…

« L’homme ne se soulèvera au-dessus de terre que si un outillage puissant lui fournit le point d’appui. Il devra peser sur la matière s’il veut se détacher d’elle. En d’autres termes, la mystique appelle la mécanique[…] Si nos organes sont des instruments naturels, nos instruments sont par là même des organes artificiels. L’outil de l’ouvrier continue son bras ; l’outillage de l’humanité est donc un prolongement de son corps. La nature, en nous dotant d’une intelligence essentiellement fabricatrice, avait ainsi préparé pour nous un certain agrandissement. Mais des machines qui marchent au pétrole, au charbon, à la « houille blanche » et qui convertissent en mouvement des énergies potentielles accumulées pendant des millions d’années, sont venues donner à notre organisme une extension si vaste et une puissance si formidable, si disproportionnée à sa dimension et à sa force, que sûrement il n’en avait rien été prévu dans le plan de structure de notre espèce : ce fut une chance unique, la plus grande réussite matérielle de l’homme sur la planète. Une impulsion spirituelle avait peut-être été imprimée au début […] Ajoutons que le corps agrandi attend un supplément d’âme, et que la mécanique exigerait une mystique. Les origines de cette mécanique sont peut-être plus mystiques qu’on ne le croirait ; elle ne retrouvera sa direction vraie, elle ne rendra des services proportionnés à sa puissance, que si l’humanité qu’elle a courbée encore davantage vers la terre arrive par elle à se redresser, et à regarder le ciel. » Henri BERGSON, les deux sources de la morale et de la religion. (1932)